PROPRIETAIRES A L'EPREUVE DU "COVID 19" - RETOUR SUR LES ORDONNANCES - CE QU'ELLES CHANGENT POUR VOUS

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Depuis le 23 mars 2020 les textes, souvent abscons, foisonnent : ordonnances, décrets, circulaires, qui se complètent et parfois modifient ce que l’on pensait acquis. Il faut s’adapter et les équilibres sont souvent difficiles à trouver, car pour une fois nous sommes presque tous victimes. Le texte fondateur est la loi du 23 mars 2020, qui déclare « l’état d'urgence sanitaire", pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, qui devait s'achever le 24 mai 2020 à   0 h mais qui a été prorogé jusqu'au 10 juillet 2020 par la loi du 11 mai 2020.

En son article 11, la loi du 23 mars habilite le gouvernement à prendre des ordonnances.

Pour le moment quatre ordonnances sont susceptibles d’intéresser notre sujet : trois ont été prises pour régler le sort des conventions et des procédures, la quatrième concerne les bailleurs de locaux commerciaux et professionnels. Ces ordonnances définissent une « période juridiquement protégée », plus longue que la période "d'état d'urgence sanitaire" initialement fixée, puisqu'elle commençe à courir le 12 mars 2020 et qu'elle se poursuivra jusqu'à l'expiration du délai d'un délai d'un mois à compter du 24 mai 2020, sauf levée anticipée. 

La loi du 11 mai 2020 n'a pas modifié la durée de la période juridiquement protégée qui expirera donc le 23 juin 2020 à minuit, soit avant la fin de l'état d'urgence sanitaire.

           A - TOUS LES PROPRIETAIRES peuvent se trouver concernés par les articles 2,4 et 5 de l’ordonnance du 25 mars n° 2020-306, qui proroge les délais échus et adapte les procédures pendant la période juridiquement protégée (modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 et complétée par l’ordonnance du 22 avril 2020 (art. 13)).

1- L’article 2  reporte le terme ou l’échéance pour tous les actes, actions en justice, recours, formalités, inscriptions, déclarations, notifications ou publications prescrits par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption et pour tout paiement prescrit en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit, qui doivent être réalisés pendant la période juridiquement protégée, soit du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 à minuit. Le cours des délais reprendront donc en principe le 24 juin et les actes qui auraient dû être accomplis durant cette période seront réputés avoir été faits à temps, s'ils sont réalisés dans un délai maximum de deux mois à partir du 23 juin à minuit. Ex : si le délai de prescription d’une action en paiement expirait le 15 avril 2020, le délai pour saisir le Tribunal sera prolongé jusqu’au 23 Août à minuit. 

Les délais prévus contractuellement ne sont pas concernés: ex: délai prévu dans une promesse de vente pour lever l'option ou pour la réitération par acte authentique ; en cas de difficulté, c'est aux parties de s'entendre pour proroger les délais. Quant au paiement des obligations contractuelles, il doit avoir lieu à la date prévue dans le contrat; à défaut le créancier peut agir en paiement, intenter des saisies, réclamer des intérêts de retard, voire solliciter l'annulation judiciaire du contrat (résolution), sauf ce qui va être dit ci-après.

2- L’article 4 empêche la mise en œuvre des astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et des clauses prévoyant une déchéance lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé qui expire pendant la période juridiquement protégée (12 mars au 23 juin à minuit), le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 est suspendu jusqu’au 23 juin. Leur effet est reporté à compter du 24 juin, d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée. Lorsque les astreintes ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation autre que le paiement d’une somme d'argent dans un délai expirant après le 23 juin, leur effet est reportée d'une durée égale au temps écoulé entre le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive la date à laquelle l'obligation est née, et le 23 juin. Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période juridiquement protégée.

Vu la complexité du texte qui donne des maux de tête aux juristes eux-mêmes, je recommande, pour les nombreux exemples qui y sont donnés, de lire le Rapport du Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 publié au journal officiel du 16 avril 2020.                       

On soulignera que seule la sanction est suspendue ; l’obligation est maintenue; le contrat et ses échéances s'imposent aux parties; en conséquence le créancier de l’obligation peut toujours demander des dommages et intérêts s’il a subi un préjudice particulier qu’il lui appartiendra d’établir sauf pour le débiteur à invoquer la force majeure. 

A retenir également que ces dispositions ne sont pas applicables aux délais de réflexion de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement (ex : délai de rétractation de 10 jours pour l'acquéreur non professionnel d'un immeuble d'habitation ou pour le bénéficiaire d’une offre de prêt). Le bénéficiaire est définitivement engagé à l’expiration de ces délais. Elles ne s’appliquent pas non plus aux délais prévus pour le remboursement des sommes d'argent versées. En introduisant ces exceptions le Gouvernement a souhaité éviter de " faire obstacle à l'activité des acteurs de la construction et de l'immobilier essentiels pour l'économie de notre pays et aux besoins des Français".

3. L’article 5 vise la résiliation et la tacite reconduction des contrats en cours : lorsqu'une convention ne peut être résiliée ou renouvelée en l'absence de dénonciation que durant une période ou dans un délai compris entre le 12 mars et le 23 juin 2020, cette période ou ce délai est prolongé de deux mois, soit jusqu’au 23 Août à minuit.

4. Les articles 12 bis à 12 quinquies introduits par l’ordonnance du 15 avril 2020 règlent la question de la suspension des recours formés contre les autorisations d’urbanisme, l’instruction des mesures d’urbanisme et les délais de péremption ; ces textes ont introduit une exception avantageuse pour les professionnels de la construction : les délais reprennent à la fin de la période d’urgence sanitaire soit le 24 mai et non de la période juridiquement protégée (23 juin) et le délai, suspendu à compter du 12 mars, ne reprendra son cours que pour la durée restant à courir sans que cette durée puisse être inférieure à 7 jours.

          B / - LES BAILLEURS DE LOCAUX COMMERCIAUX ET PROFESSIONNELS, y compris ceux à usage de bureaux, sont concernés par l’ordonnance du 25 mars 2020 n° 2020-316 « Relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19 », qui a pour objet « D'aider et de soutenir la trésorerie des entreprises et des associations afin de limiter les faillites et les licenciements ».     

Le report des échéances de paiement des factures exigibles entre le 12 mars 2020 et le 24 mai 2020 ne concerne que les factures d’électricité, de gaz et d’eau, s’agissant des loyers aucune disposition législative ou réglementaire ne permet d’en SUSPENDRE le règlement que ce soit en matière de bail d’habitation, de bail professionnel ou de bail commercial ; ils restent dus pendant la crise. Il faut en effet éviter l’effet « domino », et que le bailleur privé de loyer, se retrouve à son tour dans l'impossibilité de régler ses charges, voire soit privé de ses seules ressources vitales.              

C’est pourquoi, en son article 4, l’ordonnance 2020-316 n’interdit que la sanction : en cas de non-paiement des loyers ou charges locatives dus entre le 12 mars 2020 et " un délai de deux mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire", donc pour le moment jusqu'au 24 juillet 2020, le bailleur ne pourra poursuivre le paiement de pénalités financières ou d'intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, l’exécution d’une clause résolutoire et de toute clause pénale ou prévoyant une déchéance » ; il ne pourra pas non plus activer les garanties et les cautions. 

Vous aurez noté que le délai de suspension est dans cette hypothèse plus long que la période juridiquement protégée.

Ces dispositions sont très limitées puisqu'elles ne bénéficient qu’aux « personnes physiques et morales de droit privé qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité », c’est-à-dire les TPE, les indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales qui ont fait l’objet d’une interdiction administrative d’accueil du public ou celles ayant subi une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50% sur la  période considérée par rapport à l’année précédente, enfin aux entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire . De plus les entreprises bénéficiaires doivent être résidentes fiscales françaises, avoir un effectif inférieur ou égal à dix salariés, avoir réalisé sur l’exercice précédent un chiffre d'affaires inférieur à un million d'euros et avoir un bénéfice  imposable qui n'excède pas 60 000 euros (ordonnance n° 2020-371 du 30 mars 2020 modifiée par l'ordonnance n° 2020-394 du 2 avril 2020), enfin les locataires doivent présenter l'accusé-réception du dépôt de leur demande d'éligibilité, au fonds de solidarité ou une copie du dépôt de la déclaration de cessation de paiements ou du jugement d'ouverture d'une procédure collective, effectué dans les délais prescrits.

Avant de prétendre à pouvoir en bénéficier, les locataires éligibles aux dispositions de l'article 4 auront intérêt à constituer un dossier solide.

Pour les autres  on revient aux dispositions de l'ordonnance n° 2020-306, modifiée par l'ordonnance n° 2020-427, sur la prorogation des délais, moins protectrice pour le locataire puisqu'elle prévoit une période de protection plus courte expirant le 23 juin à minuit (pour le moment) et qu'elle n'empêche pas le bailleur d'activer les garanties et cautions, ni de réclamer des intérêts de retard. 

A la fin de la période juridiquement protégée, soit dès le 24 juin pour les uns ou le 24 juillet pour les autres, le locataire devra impérativement reprendre le paiement de son loyer à la date convenue dans son bail, à défaut les sanctions pourront de nouveau être mises en oeuvre: intérêts de retard, pénalités, clause résolutoire.

Les loyers échus, qui n'auraient pas été payés pendant la période juridiquement protégée, se cumuleront avec les loyers dus postérieurement. Le lissage devra se faire de façon négociée, puisque pour les loyers, contrairement au paiement des factures d'eau, de gaz, et d'électricité, les ordonnances n'ont rien prévu.

Se pose enfin de façon générale la question de savoir si le locataire qui fait l’objet d’une interdiction d’ouverture (voir l’arrêté du 15 mars 2020 qui liste les établissements concernés) pourrait s’exonérer en invoquant la force majeure. Dans cette hypothèse il lui appartiendra de prouver que l’évènement survenu était imprévisible, irrésistible et extérieur. Dans le cas de l’épidémie Covid-19, le preneur est extérieur à l’épidémie et ne pouvait la prévoir, mais s’agissant de l’irrésistibilité, il doit prouver l’impossibilité absolue d’exécuter son obligation ; en tout état de cause le locataire ne pourra effacer sa dette de loyer puisque la Cour de Cassation a posé le principe que " le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'éxonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure". La force majeure n'autoriserait qu'un report des paiements et pourrait simplement faire obstacle au paiement d'intérêts moratoires.

Certains auteurs considèrent encore que les locataires frappés d’une interdiction d’ouverture pourraient annuler leur dette pendant toute la période de fermeture en opposant « le manquement du bailleur à son obligation de délivrance".

Reste à savoir si les juges pourraient se mettre en porte à faux avec des textes qui rappellent que les obligations de faire et de payer ne peuvent pas être annulées pour cause de « Covid 19 ». La sortie du déconfinement promet de belles batailles juridiques !

           

 

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